La protection fonctionnelle des agents publics
La protection fonctionnelle offre aux agents publics un appui solide pour faire face aux poursuites et attaques subies du fait de leurs missions. Cet article vous expose les rouages de cette protection et ses applications concrètes.
Mise en situation …

Dans les couloirs feutrés d’une mairie de taille moyenne, Madame Dupont, directrice des services techniques, mène une carrière exemplaire.
Cependant, des tensions naissent lors du lancement d’un projet urbain contesté.
Elle devient la cible d’insultes sur les réseaux sociaux, et même de menaces. Désemparée, elle décide de demander la protection fonctionnelle à sa hiérarchie, une garantie prévue pour les agents publics en cas d’attaques personnelles dans l'exercice de leurs fonctions.
✉ Madame Dupont rédige une demande officielle de protection fonctionnelle par courrier recommandé auprès du Maire, expliquant la nature des attaques et précisant leur lien direct avec ses fonctions. Elle joint les preuves des messages reçus pour établir l’existence et la gravité des faits. Son but est de démontrer que les insultes et menaces sont une conséquence directe de sa mission et non d’un acte personnel détachable de ses fonctions.
La demande de Madame Dupont est examinée par les services juridiques de la mairie, qui doivent vérifier les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle. Conformément aux règles, l’Administration vérifie d’abord si les attaques sont bien liées aux fonctions de Madame Dupont et non à une activité personnelle ou indépendante de ses missions, ce que confirme la nature publique du projet urbain en question.
✓Après avoir évalué les éléments fournis, le maire décide d’accorder la protection fonctionnelle à Madame Dupont, prenant en compte l'obligation pour l’administration de protéger ses agents contre les attaques subies dans l’exercice de leurs fonctions. Dans cette optique, la mairie couvre ses frais de défense, notamment les honoraires d’avocat nécessaires pour engager une action contre les auteurs des menaces et propos diffamatoires.
L’administration organise le soutien de Madame Dupont en prenant en charge ses frais de justice, mais aussi en mettant à disposition les services de son propre service juridique. Ce soutien administratif s’assure que Madame Dupont reste concentrée sur son travail sans être perturbée par les attaques personnelles, garantissant ainsi la continuité de ses missions au sein de la mairie et sa sécurité dans le cadre de sa vie personnelle.
Ce cas illustre ce qu’est la protection fonctionnelle, à savoir un outil essentiel pour garantir que les agents publics puissent exercer leurs missions sans craindre pour leur intégrité morale et physique.
►►Que vous soyez, comme Madame DUPONT, la cible de menaces ou d’attaques dans le cadre de vos fonctions, ou bien en charge d’instruire une demande de protection fonctionnelle, prenons rendez-vous pour discuter des solutions juridiques adaptées à la situation qui vous concerne.
Les clés de compréhension ….

POUR QUI ?
Tous les agents publics des trois fonctions publiques peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors que les faits litigieux ont été commis en raison de leurs fonctions:
- Fonctionnaires, qu’ils soient titulaires ou stagiaires, en activité ou retraités (le fait générateur doit être survenu durant l’exercice de leurs fonctions), quelle que soit leur position (congé maladie, disponibilité, détachement, congé parental)
- Contractuels, qu’ils soient en fonction ou aient quitté la fonction publique.
- Vacataires
- Collaborateurs occasionnels du service public
- Famille de l’agent dès lors qu’ils sont victimes de faits qui se rattachent aux fonctions exercées par l’agent : conjoint (mariage, concubinage, PACS), enfants, ascendants directs. L’article L. 134-7 du CGFP limite toutefois ce droit à deux cas de figure :
o Pour les instances civiles ou pénales qu’ils engagent contre les auteurs d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par l’agent public ;
o Pour le conjoint qui engage une instance civile ou pénale contre les auteurs d’atteintes volontaires à la vie de l’agent public du fait des fonctions exercées par celui-ci. En l’absence d’action engagée par le conjoint, la protection de l’Administration peut être accordée aux enfants ou, à défaut, aux ascendants directs de l’agent public qui engagent une telle action
Des dispositions spécifiques s’appliquent aux militaires (code de la défense).
La protection fonctionnelle bénéficie également aux élus victimes d’agressions dans le cadre de leur mandat. Seulement, le régime de la protection fonctionnelle des élus diffère de celui des agents publics.
QUOI ?
Cette protection fonctionnelle constitue un droit statutaire pour l’agent, et une obligation pour l’administration. Cela signifie qu’il est impossible pour l’administration, sans engager sa responsabilité pour faute, de refuser le bénéfice de cette protection si les conditions d’attribution sont remplies, sauf à justifier d’un motif d’intérêt général.
Des lors que les fonctions publiques exercées sont en cause, la protection fonctionnelle s’applique tant aux agents mis en cause qu’aux agents victimes :
Agents victimes
La protection fonctionnelle doit bénéficier à l’agent victime de faits perpétrés à son encontre à raison des fonctions qu’il exerce.
Il peut s’agir, selon les dispositions de l’article L. 134-5 du code général de la fonction publique, des atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, atteintes aux biens, les violences, agissements constitutifs de harcèlement moral ou sexuel, menaces, injures, diffamations et outrages.
L’identité de l’auteur importe peu. Seul compte le fait que les agissements litigieux aient été commis à raison des fonctions de l’agent victime.
En revanche, lorsque les agissements dénoncés sont imputés au supérieur hiérarchique de l’agent, encore faut-il que ces agissements ne soient pas rattachables à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, notamment en raison de leur caractère excessif ou de leur motivation étrangère à l’intérêt du service.
Les mesures dont bénéficient les agents victimes :
→ Mesures pour faire cesser les agressions envers les agents:
- Réaffectation temporaire de l’agent dans un autre service
- Lancement de procédures disciplinaires contre l’auteur
- Affichage public de soutien à l’agent concerné
- Changement d’adresse électronique et de numéro de téléphone professionnel de l’agent
- Modification de l’affectation de l’auteur s’il appartient à la même administration
- Autorisation d’absences pour l’agent victime
→ La protection fonctionnelle peut également être appliquée à titre préventif si des faits laissent craindre de futures attaques ou atteintes envers un agent.
→ Soutien financier pour la représentation légale en mettant à disposition un avocat de la collectivité ou en prenant en charge les honoraires d’un avocat choisi par l’agent, ainsi que les frais de déplacement et d’hébergement associés à la procédure judiciaire.
→ Réparation des préjudices subis par l'agent victime :
- Pour les dommages matériels : remboursement sur présentation des justificatifs,
- Pour les dommages corporels et personnels : indemnisés comme accident de service
Agents mis en cause
La protection fonctionnelle doit bénéficier à l’agent poursuivi par un tiers à raison des faits qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui peuvent, en conséquence, être qualifiés de faute de service (simple erreur, négligence commise par l’agent à l’occasion de son service).
En revanche, quand les faits pour lesquels l’agent est poursuivi sont qualifiés de faute personnelle car totalement détachables du service, alors l’agent ne peut pas bénéficier de cette garantie statutaire (faute d’une exceptionnelle gravité).
La protection fonctionnelle couvre, par exemple, les situations suivantes dans le cadre de poursuites pénales :
- Citation directe de l’agent devant le juge pénal,
- Comparution en qualité de témoin assisté,
- Comparution immédiate,
- Audition libre de l’agent (Conseil constitutionnel, décision du 4 juillet 2024, n°2024-1098 QPC),
- Mise en examen par un juge d'instruction,
- Convocation pour une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité,
- Garde à vue,
- Composition pénale.
⚠ La protection fonctionnelle due à l’agent n’empêche pas l’administration de le suspendre de ses fonctions si elle le juge opportun et d’engager une procédure disciplinaire à son encontre.
Les mesures dont bénéficient les agents mis en cause :
- Assistance juridique de l’agent : aider l’agent à bénéficier du ministère d’avocat soit en lui proposant l’avocat de la collectivité, soit en prenant en charge les honoraires de l’avocat choisi par l’agent ;
- Prise en charge des frais de déplacement, d’hébergement, amendes intervenant dans le cadre de la défense mise en place pour l’agent mis en cause;
- Prise en charge du montant des condamnations civiles prononcées à l’encontre de l’agent mis en cause ;
- Prise en charge des frais d’avocat de la partie adverse si l’agent mis en cause a été condamné à les payer.
QUAND ?
Aucun texte n’impose de délai pour demander le bénéfice de la protection fonctionnelle. Toutefois, pour assurer son efficacité, il est important de ne pas tarder pour la demander.
COMMENT ?
Pour pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle, l’agent doit présenter à l’Administration qui l’emploie ou qui l’employait à la date des faits justifiant la demande, une demande par courrier recommandé avec accusé réception.
L’agent doit annexer à son courrier la preuve des faits qui justifient, à son sens, la demande de protection fonctionnelle.
⚠ Le déclenchement de la protection fonctionnelle n’est pas automatique ! (CAA Lyon, 25 juillet 2024, n°23LY03291)
En cas de refus d’octroi de la protection fonctionnelle, l’administration en informe l’agent par écrit et précise les motifs de son refus. Elle indique également les voies et délais de recours pour contester cette décision.
⚠Le silence gardé par l’Administration pendant une durée de deux mois vaut décision implicite de refus.
Confronté à un refus, l’agent peut adresser soit un recours gracieux ou hiérarchique, soit saisir le tribunal administratif territorialement compétent d’un recours en annulation ou d’un référé-suspension en cas d’urgence.
⚠ Le délai de recours contentieux est de deux mois à partir de la notification de la décision expresse de refus et deux mois à partir de la naissance de la décision implicite de rejet.
La protection fonctionnelle crée des droits pour l'agent. Par conséquent, l'Administration ne peut abroger ou retirer une telle décision de sa propre initiative ou sur demande d'un tiers que si cette décision est illégale, et à condition que le retrait ou l'abrogation intervienne dans un délai de quatre mois à compter de son adoption. Ce délai s'applique même si une faute personnelle de l'agent est découverte après son expiration.
En revanche, la protection fonctionnelle peut être abrogée si l’existence d’une faute personnelle de l’agent est révélée ou si les faits invoqués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis ou bien s’ils ont cessé.
Toutefois, il reste possible de mettre fin à la protection fonctionnelle pour l’avenir si une faute personnelle de l'agent est révélée a posteriori, si les faits avancés pour justifier la protection ne sont finalement pas avérés, ou encore si ces faits ont cessé d’exister.
Exemples...
- Agent victime de faits constitutifs de harcèlement sexuel de la part de son collègue de bureau
- Agent victime de faits constitutifs de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique qui sont, par leur nature et gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal de son pouvoir hiérarchique ;
- Agent victime de menaces de mort proférées par ses voisins en raison de sa qualité de fonctionnaire ;
- Ne bénéficie pas de la protection fonctionnelle l’agent de police qui utilise son arme par vengeance car il commet une faute personnelle détachable du service ;
- Lors d’un attentat dirigé contre des agents publics (le terroriste cherchant à viser spécifiquement des fonctionnaires), les agents effectivement attaqués ont le droit à la protection fonctionnelle de leur administration (CE, 7 juin 2024, n°476196 et n°476197) ;
- Médecin mis en cause après avoir commis, en situation d’urgence, une négligence qui entraine des complications pour un patient pris en charge à l’hôpital dans lequel il officie.
L'actualité autour du sujet...

- CE, 7 juin 2024, n°476196 et n°476197 : la protection fonctionnelle doit bénéficier à un agent public exposé à un risque avéré d’atteinte volontaire à son intégrité physique ou à sa vie en raison de sa qualité d’agent public
- Conseil constitutionnel, 4 juillet 2024 n°2024-1098 QPC : l’agent public doit pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle lorsqu’il est entendu sous le régime de l’audition libre
- Conseil constitutionnel, 11 octobre 2024, n°2024-1106 QPC : la différence de traitement entre les élus et les agents publics au sujet du bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre des actes intervenant au cours d’une enquête préliminaire est justifiée en raison de la différence de situation
- La protection fonctionnelle, une reconnaissance automatique ?
- Loi n°2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux : la loi rend automatique, c’est-à-dire sans décision préalable du conseil municipal, l’octroi de la protection fonctionnelle aux maires et aux adjoints ou anciens maires ou adjoints victimes de violences, menaces ou outrages, qui en font la demande.
- CAA Lyon, 25 juillet 2024, n°23LY03291 : le déclenchement de la protection fonctionnelle n’est pas automatique
- Proposition de loi « Améliorer la protection fonctionnelle accordée aux agents publics », Texte n° 31 (2024-2025) de M. Pierre OUZOULIAS et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 14 octobre 2024